Vous parlez de beau, voilà qui ferait hurler bon nombre de nos contemporains pour qui le beau ne peut-être que subjectif !
Ah la belle erreur! Saint Thomas d'Aquin préconisait trois conditions pour qu'une chose soit belle et délectable à l'intelligence: en premier lieu, l'intégrité - le fait qu'une chose soit complète, entière, achevée - car l'intelligence aime l'être, puis la proportion et l'harmonie car l'intelligence aime l'ordre et l'unité, enfin la clarté car l'intelligence aime la lumière et l'intelligibilité. Les platoniciens affirmaient que la beauté est resplendissement d'intelligibilité. Autrement dit la beauté est la splendeur du vrai. Certes, la beauté est aussi le parfait perçu par les sens, mais devant une oeuvre d'art c'est l'intelligence qui doit jouir à titre principal et la vue à titre secondaire. Le beau est ce qui donne la joie dans le connaître, c'est ce qui exalte et délecte l'âme comme l'a si bien dit le philosophe Jacques Maritain.
Par votre art, vous cherchez en quelque sorte à embellir le monde et par la même donner un témoignage accessible à tous. N'est-ce pas mission impossible?
Ce qui importe pour moi en art c'est de démontrer une vérité, de pérenniser dans le bronze les actes héroïques et vertueux de figer les beaux corps, les belles attitudes. J'aimerais que mon oeuvre serve à éduquer les moeurs, à corriger les vices, à aider la jeunesse à ne point s'avachir et se débrailler. Un artiste qui crée une belle oeuvre accomplit un acte moral. Certes, cela semble bien incongru dans notre monde actuel, et surtout parfaitement idéaliste. Mais les statues sont des prédicateurs muets qui font souvent plus d'impression que la parole. Il ne faut pas se leurrer: aucune instruction, aucun discours ne peut remplacer l'exemple. Les actes héroïques immortalisés dans le bronze restent en pratique le seul véhicule efficace de la propagation de la vertu morale pour la majorité des gens. L'artiste moderne reste bien souvent un exhibitionniste qui cherche à tout prix faire connaître son nom et, ce faisant, donne dans le nombrilisme le plus étriqué: il se préfère à son oeuvre. Pour ma part, je veux sculpter pour embellir et perpétuer la tradition, non pour faire fortune.
Malheureusement aujourd'hui les gens ne sont plus assez cultivés, pour demander le beau, ils se contentent bien trop souvent de l'utile. C'est oublier avec Dostovieski que « la beauté sauvera le monde ».
Nous touchons là un point essentiel: est-il possible pour l'artiste de créer de la beauté si Dieu n'habite plus son regard?
Une fois encore, Ingres nous gratifie d'un conseil extraordinaire: « Ayez de la religion pour votre art, allez la tête levée vers les cieux au lieu de la courber vers la terre comme les porcs qui cherchent dans la boue ». Voilà tout mon programme: je sculpte les yeux levés au ciel. Il m'est impossible de créer une oeuvre sans référence aux choses divines. Et la nature est la seule lucarne par où Dieu se laisse voir clairement, disait Rude. D'ailleurs les Thébains avaient prescrit une loi à leurs artistes: reproduire la nature le mieux possible sous peine d'amende! Aussi mes oeuvres cherchent à reproduire, à travers la nature qu'elles dépeignent, la main de Dieu sur sa belle création. Pour l'artiste catholique, il y a une inspiration réelle qui ne vient pas des muses, mais du Dieu vivant. Malheureusement aujourd'hui le Seigneur n'est pas loué par les Beaux-Arts malgré toutes les grâces qu'il a en réserve pour les artistes qui, hélas, ne le prient plus. Aussi l'art contemporain empêche l'homme de se souvenir de Dieu. Croire que l'on peut faire des chefs d'oeuvres en se passant de Dieu, voilà l'immense erreur, trop souvent liée à l'orgueil de l'artiste. L'eau la plus pure, lorsqu'elle n'est plus alimentée par sa source se transforme en marécage.